NETTALI.COM - Faut-il rire ou pleurer de cette nouvelle sortie de route de Moustapha Sarré, le porte-parole du gouvernement ? Encore une fois, celui-ci a raté l’occasion de se taire. Il y a en effet vraiment de quoi s’inquiéter sur son cas.
« Ils ont menti sur les chiffres. Ils ont menti au peuple. Ils ont menti également aux partenaires. Que Dieu ait pitié de son âme. Moustapha Ba lui-même, reçu par le président de la république et son Premier ministre, a dit que les chiffres ne sont pas exacts. Ce ne sont pas de bons chiffres. Il faut qu'on s'intéresse davantage au cas où Moustapha Ba. Qu'est ce qui est à l'origine de sa mort ? Il a été tué dans des conditions troubles. Il est resté plusieurs jours sans que sa famille n'ait de ses nouvelles. Il faut qu'on enquête pour savoir ce qui s'est passé avec Moustapha Ba. C'est incroyable est ce que vous imaginez dans un pays comme la France, l'Allemagne, la Corée, le Japon, la Chine, les Etats Unis, que les chiffres soient maquillés au point qu'on dise que le taux d'endettement est de 74% alors qu'il est de 99,67%. Est-ce que l'on peut imaginer cela dans ces pays ? Est-ce qu'il est imaginable que dans ces pays, on vous dise que le déficit budgétaire est de 4,2% alors qu'il est de 12,3%. Ce pays, on doit le redresser... » , a déclaré celui-ci, lors d'une journée de réflexion, où cours de laquelle, il s'adressait à la jeunesse patriotique de Mbao.
Mais face au tollé soulevé par ses propos, suite à la vidéo de son intervention devenue virale, le ministre n’avait d’autre choix, comme à son habitude, que de tenter de chercher à se sauver de la noyade.
« Quand on manque d’arguments, on fabrique des polémiques », a réagi celui-ci sur sa page Facebook, dénonçant une tentative de diversion orchestrée par ses adversaires. Selon lui, au lieu de débattre des véritables enjeux économiques et sociaux du pays, certains préfèrent détourner l’attention sur des sujets polémiques.
« Soyons clairs : comme tout citoyen, j’ai le droit de m’interroger sur des faits marquants de l’actualité sans pour autant faire d’affirmations », a insisté Moustapha Sarré, avant d’appeler à un débat de fond sur la gouvernance et l’avenir du pays.
Sauf qu’à la place d’une simple interrogation, comme il le prétend, il s'est plutôt agi, lors de sa sortie, d'une vraie affirmation. La vérité est que le porte-parole du gouvernement qu’il est, ne doit pas avoir d’état d’âme à exprimer. Sa position de porte-parole lui colle sans aucun doute à la peau.
Et la question fondamentale que l’on est certainement en droit de se poser, c’est celle de savoir s’il a vraiment conscience de son rôle dans le gouvernement ? Peut-être le méconnaît-il ? Servir l’Etat à la vérité, ne devrait pas être donné à n’importe qui. C’est à la fois une vocation et un sacerdoce qui s’accompagne d’une certaine carrure et envergure, sans oublier d’autres qualités essentielles que sont la pondération et la réserve. Un porte-parole d’un gouvernement porte en effet sa parole. Ce qui veut en d’autres termes dire que celui-ci doit strictement se limiter à la stricte position du gouvernement qui lui indique ce qu’il doit dire.
On est en effet loin de l’époque de feu Bruno Diatta, cet illustre serviteur de l’Etat, ce maître du protocole dans l’âme. Il faisait incontestablement partie de la race des vrais serviteurs du public. De la race des hommes à l’intégrité reconnue, avec un culte du secret inégalable et qui a eu toujours à cœur de servir son pays avec professionnalisme, discrétion et rigueur. On peut en citer d’autres tels que feu Ousmane Tanor Dieng, etc
Mais avec un porte-parole aussi désinvolte et manquant à ce point de retenue et de discernement, avouons que le gouvernement a de quoi s’inquiéter.
Le hic, c’est lorsque Moustapha Ndjeck Sarré nous sort sa phrase : "Pendant qu’ils polémiquent, nous avançons, déterminés à bâtir un Sénégal nouveau, sur la base de la vérité, de la rigueur et du développement pour tous."
Il ne doit certainement pas s’être rendu qu’il est lui-même à l’origine d’une polémique qui empêche d’avancer, après cet énorme temps perdu dans ce débat stérile, politicien et sans fin sur les faux chiffres. Le gain de temps, n’aurait-il pas été de s’atteler à trouver des solutions face aux nombreux problèmes et défis qui se dressent devant nous, dans un contexte de licenciement dans le public et de morosité économique ? Il nous a en tout cas ramenés quelques semaines en arrière en reposant sur la table, un vieux sujet sur la dette et le déficit budgétaire, sujet sur lequel on a déjà longuement épilogué dans l’espace public et médiatique, sans s’entendre sur quoi que ce soit. En somme, une sorte de disque rayé.
C’est pourquoi, M. Sarré ne devrait, à la vérité, être nullement étonné de cette avalanche de critiques de ceux-là qu’il appelle ses adversaires. Il est à la vérité son propre adversaire puisque c’est lui-même qui s’est autorisé certains commentaires peu amènes dans une affaire où une information judiciaire a été ouverte par le procureur de la république. On attend d’ailleurs toujours d’en connaître les évolutions, même si le temps de la Justice n’est pas forcément celui de la politique.
Mais l’on devrait aussi et surtout se pencher sur le bien-fondé de la démarche de Moustapha Sarré, lorsqu’il a balancé l’information selon laquelle Moustapha Ba a confirmé devant le président de la République et le Premier ministre, que les chiffres ont été maquillés ? A-t-il cherché à établir un lien entre l’information sur les faux chiffres et la mort du ministre ? Une bonne question. Quelle que soit en tout cas son intention, ses propos sont bien équivoques et ont créé un grand malaise, tout en semant un gros trouble dans les esprits !
De deux choses l’une : soit il sait quelque chose qu’il ne dit pas au sujet de la mort de Moustapha Ba et préfère ainsi se lancer dans des insinuations pour laisser les autres tirer des conclusions ; soit il était tout simplement dans de la pure spéculation en se servant de la supposée confirmation de Moustapha Ba devant le PR et le PM, comme caution pour accréditer sa thèse relative à un maquillage de chiffres.
Moustapha Ba n’étant malheureusement plus parmi nous pour se défendre, Il sera bien difficile de contredire ce cher Moustapha Sarré.
Dans cette affaire, rappelons-le tout de même, différentes thèses ont circulé, les spéculations sont allées bon train et des interrogations n’ont pas manqué.
Le minimum de décence aurait en tout cas voulu que M. Sarré n’abordât pas un tel sujet, ne serait-ce que respect pour la mémoire du défunt, la famille du défunt et pour tous ceux-là qui sont affectés par la mort du ministre Ba.
Et ce n’est d’ailleurs guère un hasard si sa sortie a suscité beaucoup de réactions. Parmi lesquelles, celle des avocats de la veuve qui ont dénoncé « la sortie irresponsable du ministre porte-parole du gouvernement Moustapha Sarré » et estiment que «le ministre porte-parole du gouvernement doit être immédiatement entendu dans le cadre de l’enquête ouverte suite à la disparition de l’ancien ministre des finances ».
Selon en effet Maitres El Hadj Diouf et Amadou Aly Kane, le ministre porte-parole du gouvernement « devrait être immédiatement entendu dans le cadre de l'enquête ouverte sur les circonstances de cette disparition ». De tels propos, venant d’un haut responsable, soutiennent-ils, « ne peuvent rester sans suite ». Ce, d'autant plus que le concerné n'a même pas utilisé le conditionnel, soulignent les robes noires pour qui, cette sortie rappelle un précédent, à savoir l'affaire du journaliste Adama Gaye qui avait été interpellé et jugé pour avoir tenu presque les mêmes propos.
D'ailleurs, M. Gaye n'a pas raté ce prétexte pour revenir sur l'affaire qui lui avait valu 72 heures de garde à vue et un procès en flagrant délit. « Ce que le ministre porte-parole a dit, c'est exactement la même chose que j'avais indiquée de façon allusive, lors d'une interview que j'avais fait le 20 novembre 2024 sur une chaine de télévision. Dès le lendemain, les services de sécurité m'avaient convoqué. À la suite de mon audition, j'avais été placé en garde à vue pendant 72 heures, pour avoir simplement dit ce que le ministre porte-parole du gouvernement vient de dire. Cela montre simplement que je n'aurais jamais dû être convoqué et jugé pour ces propos basés à l'époque sur des éléments factuels », fulmine le journaliste qui réclame justice, même s'il a été relaxé après son procès.
Le porte-parole de la famille Ba, Djim Momar Ba a lui aussi réclamé que la justice fasse son travail, estimant que « c'est la position de sagesse parce qu'une enquête est ouverte » et que la famille attend. « Maintenant qu'il y a eu une affirmation, qu'il y a eu une mort trouble, vraiment on laisse la justice elle-même faire son travail », a ajouté le frère du défunt qui précise toutefois que depuis lors, ils n’ont pas eu d’informations par rapport à l'enquête ouverte par la justice .
Même son de cloche chez l’ami proche du défunt, Mamadou Bassirou Kébé qui a également exprimé son indignation sur sa page Facebook : « La République n’a pas besoin de fausses polémiques, mais de responsabilité et de clarté.» Aussi, a-t-il appelé le ministre à apporter des preuves ou à reconnaître sa faute, rappelant que la parole d’un représentant de l’État ne saurait être réduite à un simple commentaire de comptoir. Il souhaite qu’il soit mis à la disposition de la justice, pour apporter ses preuves.
Une condamnation somme toute des propos de Sarré en tout cas unanime et des déclarations qui ont suscité de vives réactions, aussi bien du côté des partisans du régime actuel que de l’opposition et des analystes politiques.
Pour beaucoup, Moustapha Sarréa franchi une ligne rouge, en évoquant des sujets aussi sensibles sans toutefois apporter des preuves tangibles. Serigne Saliou Guèye, directeur de publication du journal “Yor-Yor”, a qualifié cette sortie d’ « erreur de communication ». Selon lui, le ministre a réchauffé un sujet déjà caduc, alors que d’autres questions plus urgentes auraient pu être abordées. “Le porte-parole du gouvernement aurait pu éviter ce sujet, d’autant plus qu’une information judiciaire a déjà été ouverte par le procureur de la République”, a-t-il souligné.
De même un certain nombre de titres de la presse du jeudi 20 mars a demandé à ce qu’il soit auditionné par le procureur dans le cadre de l’enquête.
D’autres ont cependant une toute autre lecture des propos de Sarré. Pour certains observateurs, les déclarations du formateur à l’école du parti, s’inscrivent dans une stratégie politique bien rodée : celle de la diversion. Bachir Fofana, journaliste et analyste politique, estime que ces propos visent à détourner l’attention des vrais enjeux. « En stratégie politique, la diversion est l’une des formes de manipulation les plus simples et donc les plus fréquemment utilisées. Elle permet, à moindre coût, de détourner l’attention du plus grand nombre du principal vers l’accessoire », a-t-il expliqué. Selon lui, les récentes déclarations du ministre pourraient être un « contre-feu » destiné à éloigner les regards de la “loi interprétative de la loi d’amnistie”, un sujet qui a récemment fait polémique au Sénégal. « On semble se lancer dans un contre-feu pour se dépêtrer de cette affaire avec les propos du ministre porte-parole du gouvernement sur la mort de Moustapha Ba », a-t-il ajouté.
Soulignons tout de même que Moustapha Sarré n’en est pas à sa première sortie incendiaire. Il avait déjà fait parler de lui, en qualifiant récemment l’ancien président Macky Sall de “chef de gang” et en affirmant que ce dernier ne pourrait “échapper à la justice”. « Les Sénégalais lui avaient fait confiance pour améliorer leurs conditions de vie, mais il a posé ces actes et caché la vérité », avait-il déclaré à l’époque, avant de se rétracter en affirmant qu’il s’agissait de son opinion et non celle du gouvernement.
Le temps passe et Moustapha Sarré ne semble pas être capable porter haut le flambeau du porte-parolat. Et il ne cesse de convaincre chaque jour qu’il méconnaît son rôle, car comme le dit une certaine citation parfois attribuée au philosophe Sénèque : « l’erreur est humaine, mais persévérer dans l’erreur devient diabolique ». Mais là en l'occurence, il n'est plus question d'erreur. Au gouvernement en tout cas dont il porte la parole d’apprécier.