NETTALI.COM - Chaud chaud le débat qui a récemment opposé, à l’émission « Quartier Général », le chroniqueur de la TFM Badara Gadiaga et le député Amadou Ba. Interpellé par le premier, Amadou Bâ a dû répondre à une question cruciale : « Qu’a décidé cette loi interprétative au sujet des casseurs, pilleurs et tous ceux qui ont volontairement incendié les domiciles et biens d’autrui ? » Visiblement insatisfait de la réponse du député, Badara Gadiaga a accusé ce dernier de « tronquer la vérité de manière manifeste ».
Le chroniqueur est allé plus loin dans son argumentaire en établissant une distinction entre son implication dans les manifestations de 2011, évoquée par Amadou Bâ, et les récentes mobilisations impliquant les militants de Pastef. « En 2011, je me suis présenté au tribunal qui m’a relaxé, concluant que je n’avais commis aucun délit. C’est tout le contraire de votre leader, qui s’est réfugié à Ziguinchor lorsque la justice a voulu l’entendre dans le cadre de l’affaire récente que nous connaissons tous (l’affaire sweet beauté : Ndlr). Vous ne pouvez pas dissimuler la vérité. Arrêtez de raconter des contre-vérités sur moi, vous ne pouvez pas me calomnier sans maîtriser l’histoire que vous racontez sur moi », a-t-il argumenté avec fermeté.
Poursuivant son argumentaire, Badara Gadiaga traitera Amadou Ba de « menteur ». De même que son leader Ousmane Sonko.
Bref, une séquence de l’émission dont on aurait bien pu se passer pour l’intérêt du débat parce que difficile de savoir où tout cela pouvait bien nous mener. L’on attendait en tout cas des deux personnages, plus de hauteur et d’arguments. Badara Gadiaga, en bon connaisseur de la politique pour avoir lui-même milité au parti Rewmi puis dans le cadre du mouvement M 23, lors des évènements de 2011, est connu pour sa clarté dans le discours et son côté très factuel. De même, Amadou Ba, diplômé en droit public, aime à évoquer les questions juridiques. Il est aussi connu pour sa pondération.
Mais à la vérité, traiter un homme politique de « menteur » est devenu banal de nos jours, sous nos cieux. D’une banalité déconcertante. « Menteur », un qualificatif qui a toutefois une charge plus lourde en wolof qu’en français. Et ceux qui l’utilisent contre leurs interlocuteurs, ne cherchent pas du tout à être bienveillants. Les réseaux sociaux foisonnent en effet de vidéos où le leader de Pastef est si souvent traité de « menteur » pour n’avoir pas, selon ses détracteurs, tenu des promesses qu’il avait eues à faire. Lui-même, n’avait-il pas traité publiquement Macky Sall de « menteur ». Tout comme le député Guy Marius Sagna l’avait fait contre l’ancien ministre de l’Intérieur sous Macky Sall, Antoine Felix Diome.
Levée de boucliers au Pastef
Les propos de Badara Gadiaga n’ont d’ailleurs pas tardé à faire réagir dans les rangs de Pastef. C’est ainsi à travers un communiqué que le Bureau politique a regretté une prolifération « de chroniqueurs- insulteurs, qui, sous prétexte de commenter l’actualité, se livrent à des attaques verbales violentes, calomnieuses et diffamatoires contre les institutions et les autorités de l’État », tout en dénonçant ce qu'il considère comme « un détournement inacceptable du temps d’antenne du service public de l’information ». Le parti ne s’en est pas arrêté là puisqu’il a interpellé les organes de régulation des médias pour remettre de l'ordre dans le secteur. “Le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (CNRA) et le Conseil pour l’Observation des Règles d’Éthique et de Déontologie dans les Médias (CORED) doivent assumer pleinement leurs missions de régulation ».
Et c’est au tour du ministre de la Microfinance et de l’Économie sociale et solidaire, Alioune Dione, de faire un post pour annoncer sa décision de boycotter la Télévision Futurs Médias (TFM « jusqu'à ce qu'elle accepte de présenter des excuses publiques pour les injures proférées à l'encontre du Premier Ministre. »
De même, le porte-parole du gouvernement, Moustapha Sarré, à travers un post sur Facebook, a condamné « avec la plus grande fermeté, ces mots déplacés et irrévérencieux, qui ne sauraient en aucun cas être justifiés par la liberté d'expression », ajoutant qu’ il est inacceptable que le groupe médiatique GFM ait laissé passer de telles invectives, sans interruption du chroniqueur sur le moment, ni excuses après l'émission.
Tout comme le quotidien « Yoor Yoor », proche de Pastef qui se demande, un brin vicieux, à travers sa Une du mardi 25 mars, dans une interrogation qui n’est rien d’autre qu’une affirmation qui ne dit pas son nom : « et si Youssou Ndour tirait les ficelles ? » avec comme surtitre « Attaques insolentes et répétitives contre le Pastef et son leader à la TFM ». Une suspicion vis-à-vis du groupe Futurs Médias qui n’est d’ailleurs pas nouvelle puisque les locaux ainsi que les véhicules des certains responsables avaient été, au fort moment des crispations politiques, attaqués, des voitures caillassées et incendiées.
Le Cdeps et le Cnra n’émettent pas sur la même fréquence
Dans cette affaire, le Conseil national de Régulation de l’Audiovisuel est même monté au créneau pour mettre en garde les patrons de presse. Ce qui a pu faire dire au quotidien « La tribune » que « le Cnra obéit à Pastef » en se demandant « où était l’organe de régulation quand sur plusieurs plateaux de télés, les chroniqueurs et dirigeants de Pastef appelaient Sen TV « Keur Doff Yi » »
Une position du Cnra qui n’a d’ailleurs pas été du tout du goût du Conseil des Diffuseurs et Editeurs de presse (Cdeps). C’est ainsi que dans un communiqué, les patrons de presse ont étalé leur colère, exprimant « leur profonde inquiétude et leur grand étonnement à la suite de la lecture du communiqué de mise en garde contre des médias, émis par le Président du CNRA, consécutivement aux échanges entre un chroniqueur et un responsable d’un parti politique lors d’une émission télévisée ».
En effet, selon Mamadou Ibra Kane et ses confrères, « le Cdeps condamne avec vigueur les injures, les propos diffamatoires et outranciers observés dans l’espace public depuis de nombreuses années, sans que cela n’ait ému le CNRA au point de justifier la diffusion d’un communiqué signé du Président à la suite de l'appel d'un parti politique ».
Ils estiment que ce rappel aux médias fait par le Président du CNRA, « dans le fond comme dans la forme, est une manière insidieuse de mettre au pas la presse et de s’immiscer dans le fonctionnement interne des rédactions ». C’est pourquoi, le Cdeps avise « qu’il ne saurait accepter une liberté surveillée accordée aux groupes de presse, surtout dans un contexte où le régime, depuis son installation, multiplie les atteintes à la liberté de la presse, par des inquisitions fiscales, la privation de publicités, le refus d’honorer les prestations déjà effectuées, les coupures illégales de signaux de certaines chaînes de télévision et la volonté de régir l’exercice du journalisme ».
« Chroniqueurs », « activistes », médiatiques », etc : un phénomène pas si nouveau que ça !
Des chroniqueurs qui posent problème ? Voilà ce que l’on vient, comme par enchantement, de découvrir chez les Pastéfiens. Une remarque en tout cas bien tardive qui fait gentiment sourire.
A la vérité, ce qui a fait la force de Pastef, alors qu’il allait à l’assaut du pouvoir de Macky Sall, n’était-ce pas sa capacité à utiliser certains plateaux télés, internet et les réseaux sociaux qui lui étaient favorables pour faire déferler des torrents d’opinions, grâce à la complicité de ceux-là qu’on dénonce aujourd’hui, qui étaient et qui sont toujours « chroniqueurs », « analystes politiques » ou encore « activistes », lorsqu’ils n’étaient pas des journalistes encagoulés.
A l’époque pourtant, nous nous évertuions à longueur de chroniques et d’éditos, à relever cet état de fait, pour le déplorer, tout en insistant sur la nécessité de « nettoyer » les plateaux télés et internet, de ces intrus qui n’ont rien à y faire. Un chroniqueur, dans la profession, - pas besoin de le préciser - est soit un journaliste spécialisé et reconnu comme tel dans un domaine du journalisme ; ou un expert reconnu dans un domaine scientifique, technique, sportif, culturel, etc. en tout cas dans une spécialité donnée. A ce titre, Daouda Mine est indiscutablement reconnu comme chroniqueur judiciaire pour avoir fait des études de droit et exercé cette activité une vingtaine d’années durant ; Ibou Fall qui a aussi un grand background dans la presse et bon connaisseur des faits politiques historiques, sociaux, etc est un chroniqueur politique, social etc, reconnu. Sur le plan du sport, le statut de Moustapha Guèye de Fass comme chroniqueur de lutte, est indiscutable. Il y en a d’autres.
Combien de fois a-t-on brocardé Birima Ndiaye en disant qu’il ne devait point être chroniqueur ? Son principal fonds de commerce du temps de l’ancien régime, était de défendre Macky Sall et Amadou Ba. Il a depuis disparu des radars. De la même façon, l’on peut penser que Bouba Ndour n’a pas la qualité pour être chroniqueur politique, mais plutôt chroniqueur en matière de production musicale. Sauf qu’il est toujours présent sur le plateau de Jakarloo de la TFM et officie à titre de chroniqueur généraliste.
L’on s’est même maintes fois interrogé sur le cas de Cheikh Bara Ndiaye, en nous demandant comment il pouvait passer de tradipraticien à subitement « analyste politique » pour certains et « chroniqueur » pour d’autres ? L’on voyait bien que certains le prenaient pour ce qu’il n’était pas, tant que ses opinions et propos faisaient les affaires du public pastéfien. Il n’était d’ailleurs pas neutre et est aujourd’hui député de Pastef.
Il y’en a bien d’autres, tels que Pape Matar Diallo ou Moussa Sow qui ne se distinguent pas particulièrement par leurs lumières, si ce n’est de déverser des opinions subjectives. Tout comme l’on peut dire la même chose de Pouye et d’Oumar Faye Leral askan wi Cheikh Oumar Talla, sur la Sen TV, Abdou Diallo sur Public, etc qui ne peuvent en aucune façon être considérés comme des chroniqueurs.
Elle est en effet bien longue la liste de ces gens qui peuplent nos plateaux télé, internet et déferlent des torrents d’opinions, à longueur d’émissions, dans un contexte où même le public n’arrive plus à faire la différence entre qui est journaliste et qui ne l’est pas ; sans oublier tous ces intrus entrés par effraction dans le métier.
Ce que l’on attend en tout cas d’une info ou d’une analyse voire d’une chronique, c’est qu’elle soit basée sur des faits et apprenne quelque chose au télespectateur, lecteur ou internaute.
La vérité, est que tant que le parti Pastef était dans l’opposition, tous les moyens étaient bons pour attaquer le pouvoir en place, en déconstruisant et critiquant. Ce qui est posture bien plus facile que lorsqu’on est au pouvoir.
Changement d’époque, changement de veste, le Pastef est aux commandes et subit des critiques de ces fameux « chroniqueurs » et « activistes médiatiques », dans le contexte d’une opposition qui est dans la réaction : Abdou Nguer, Abou Diallo, Badara Gadiaga, etc sans oublier les activistes tels que Abdoukarim Guèye, Mollah Morgan ou encore Akhenaton, qui empêchent le nouveau régime de tourner en rond. Ces derniers, alliés d’hier sont devenus les pourfendeurs d’aujourd’hui. Or, dans le lot, le « chroniqueur » Gadiaga très apprécié par une certaine partie du public, a fait la sortie de trop. L’occasion faisant le larron, la sortie du Pastef est loin d’être fortuite puisqu’elle est assise sur une seule logique, celle de mettre la pression sur Youssou Ndour dans une logique d’anesthésier son « chroniqueur », voire de le faire virer si possible.
Rappelons quand même que beaucoup de chroniqueurs sont passés par la TFM, Birima Ndiaye, Cheikh Yérim Seck, Bamba Kassé, Pape Djibril Fall, etc
Si l’Etat est vraiment animé d’une volonté de « nettoyer » la presse de ses intrus et de réguler…
Des problèmes, il y en a évidemment dans la presse sénégalaise. Et il va d’ailleurs être bien difficile de trouver un secteur du public sans problème. Combien de fois ne nous a-t-on pas enquiquiné avec ces prises de position sur des « magistrats corrompus » parce certaines décisions n’étaient pas favorables ? N’évoque-t-on pas souvent dans l’opinion, l’absentéisme des fonctionnaires voire des députés ? Par ailleurs juste considérés auprès d’une certaine opinion, comme des pions de l’exécutif qui ne seraient là que pour lever mécaniquement le doigt. Une enquête n’avait-elle pas pointé du doigt l’administration des impôts parmi les secteurs à problèmes au Sénégal ? Combien de corporations sont accusées de corruption au Sénégal ? Elles sont bien nombreuses en tout cas, si ce n’est pas la quasi-totalité.
Si l’Etat veut arriver à « nettoyer » la presse, non pas seulement de ses « chroniqueurs », mais de tous ces gens qui n’ont pas vocation à y exercer, il doit non seulement créer un statut pour ceux-là, comme il a eu à le faire pour les journalistes, mais encore le faire en se basant sur des principes démocratiques et non pas en procédant de manière opportuniste parce qu’il est au pouvoir.
De même, il doit s’évertuer à traiter les médias sur un même pied d’égalité en ne raisonnant pas en termes de médias favorables ou défavorables à lui.
Dans la bataille qui se mène entre la presse et le pouvoir, ils sont nombreux à penser, du côté des médias, que « l’État cherche à museler les journalistes, dans le sens de la préservation de ses intérêts », même si l’on se rend évidemment compte que c’est peine perdue, puisque la presse est habituée aux conflits.
Les autorités doivent dès lors commencer par cesser leur politique hostile vis-à-vis de certains médias et ses vaines tentatives maintes fois avortées de dénigrement de la presse. L’une des mesures graves qu’il a par exemple prise, c’est d’avoir coupé les conventions de la presse de manière arbitraire et de n’avoir pas payé les publicités déjà consommées.
Feu Mame Less Camara aimait bien rappeler, dans ses conférences, que c’est en réalité le pluralisme qui assure la bonne circulation de l’information. Le pouvoir peut contrôler un journal, une radio, une télévision, un site internet sans jamais contrôler la totalité de l’information, argumentait le journaliste, qui estimait que c’est une “bonne chose pour la démocratie”.
Aujourd’hui, l’on estime que l’État, par le biais du ministère de la Communication, s’autorise tous les jours à franchir de nouveaux paliers, cherche à dicter le pouls aux journalistes et on n’est pas loin de viser l’asphyxie économique.
Il ne faut de toute façon pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Car la presse, non seulement assure une mission de service public, mais a prouvé son utilité en participant à l’éveil des consciences et à la transparence dans la démocratie. La presse a par exemple activement participé à la couverture de l’élection présidentielle passée qui a permis au Pastef d’arriver au pouvoir. De même durant la période la pandémie Covid 19, c’est la presse qui assurait la sensibilisation en informant sur les cas-contacts, les guérisons, organisant des plateaux-télé et radios avec des spécialistes de la question, rétablissant des faits et démentant des fake news. Pendant ce temps, elle n’avait pas encaissé de recettes publicitaires, laissant la manne à partager aux vendeurs de masques, de gels hydroalcooliques, de respirateurs artificiels, aux hôteliers et aux vendeurs de riz, sans oublier ceux-là qui avaient piqué dans la caisse.
Pour ne citer que ces cas-là.
Comme quoi, il ne faut pas être prompt à donner des leçons aux autres, si l’on n’est pas soi-même irréprochable dans son rapport à l’autre.