NETTALI.COM - Comment ne pas ressentir de la fierté et de l’émotion en suivant le défilé du 4 avril, lors de la fête d’indépendance du Sénégal ? Il était en tout bien difficile d’être indifférent à la démonstration de force de nos vaillant soldats qui marchaient avec fière allure au rythme de la musique principale des armées et de la clique des Enfants de troupe du Prytanée militaire de Saint-Louis.
L’arsenal militaire et la logistique déployés ont de quoi rassurer les Sénégalais quant à leur quiétude, même si l’on sait qu’il y a encore des progrès à faire en matière de sécurité, domaine dans lequel, il faut sans cesse évoluer, tout en restant vigilants face aux nombreuses menaces qui guettent.
Tout cela montre en réalité que nous sommes loin d’être un pays en ruines, surtout après avoir en plus religieusement écouté le président de la république énoncer une sorte de bilan au bout d’un an d’exercice du pouvoir.
Dans ce discours du 3 avril, le chef de l'Etat nous aura rappelé les importants efforts consentis « pour apurer, pour une période de 4 années, les arriérés dus aux opérateurs agréés pour les semences et les matériels agricoles et le secteur des BTP ». Le président de la république a aussi annoncé « un vaste programme innovant de 3.000 fermes intégrées associant agriculture et élevage. »
Sur le chapitre budgétaire, il a mis l’accent sur la question de la discipline non négociable, qui selon lui, permet d’engager le redressement indispensable des comptes publics.
Sur la question de l’eau, l’engagement est pris pour la réalisation de la phase 2 des forages ruraux ainsi que le lancement des études de faisabilité du « Grand Transfert d’Eau ». Ce dernier projet qui porte ainsi sur les « Autoroutes de l’Eau », contribuera, selon ses termes, à la sécurisation de l’approvisionnement en eau potable de près de 15 millions de Sénégalais. Sans oublier les projets sur l’électrification rurale pour l’atteinte rapide de l’accès universel à l’électricité.
De même sur la question du foncier qui a fait l’objet d’un audit, il a annoncé la fin des pratiques de bradage des terres, tout en garantissant une répartition juste et équitable des ressources nationales.
La réforme du secteur de la justice était également au menu et « les travaux du comité ad hoc chargé de la mise en œuvre des consensus issus des assises de la justice, se poursuivent sereinement »
Il y a bien sûr d’autres sujets abordés, mais ce qui a surtout manqué dans ce discours du 3 avril, - même s’il a eu à aborder certains aspects dans d’autres discours et à d’autres occasions – c’est l’orientation économique du pays, si l’on en croit le journaliste-chroniqueur d’Iradio / ITV Mamadou Ndiaye qui pense qu’à partir du moment où le président ne s’adresse qu’une seule fois l’an à la nation, ce sont certainement ses conseillers qui doivent arrêter les sujets qui paraissent utiles ainsi que les priorités du discours. Etant donné que c’est le public qui consomme le discours, l’on doit, selon le chroniqueur se préoccuper de ce que les Sénégalais attendent. Il n y a certes pas eu de sondages pour connaître le nombre de Sénégalais qui ont suivi, mais au regard de la multiplicité des canaux de diffusion et des relais, une bonne partie de nos compatriotes doit s’être sentie concernée.
Pour Ndiaye, c’était l’occasion pour le président de dire où il compte mener le pays et ce qui paraît à ses yeux plus important. Le président de la république a, à son avis, parlé de beaucoup de choses importantes certes, mais c’est l’économie qui porte le pays. Il pouvait pour cette raison nous dire le point X à partir duquel, il a pris en main la conduite des affaires du pays et le point Y où il compte les propulser. Comme par exemple, explorer la piste de la relance économique, voire dégager des priorités en évoquant par exemple la politique industrielle à mettre en place dans les deux (2) ou trois (3) années à venir, en termes par exemple de nombre d’industries pour transformer ce qui est produit dans le pays, de manière à ce qu’on n'ait plus besoin d’importer etc. Il pouvait aussi nous dire combien il va allouer à chaque région, au regard de sa configuration naturelle et de ses potentialités, etc.
Le journaliste n’est d’ailleurs pas loin de penser qu’ on aurait pu sentir le nouvel engagement du président, même s’il a, en d’autres occasions, évoqué le Plan Diomaye pour la Casamance et l’Agenda 2050. S’il avait, selon Mamadou Ndiaye, abordé le discours de cette manière, on aurait sans doute senti sa vraie doctrine économique.
Le format d'un face à face biaisé d'avance
Le président de la république Bassirou Diomaye Faye n’aura pas fait que prononcer un discours dans le cadre de sa communication autour de la fête d'indépendance. Il a également fait face à la presse le soir du 4 avril. Six journalistes ont été à cet effet choisis pour l’interviewer. Mais le hic est qu’en dehors de Sidy Diop l’éditorialiste du Soleil, Maimouna Ndour Faye et François Xavier Thiaw de la RTS, le choix du reste des journalistes a laissé beaucoup de confrères sur leur faim. L’on aurait en effet pu choisir de plus aguerris avec des background bien plus épais, dans des médias d’envergure, même si le principe a consisté à faire le choix des médias devant officier, par les services de communication du palais, suivant une certaine logique, c’est-à-dire à tour de rôle.
Comment a-t-on par exemple pu zapper, côté presse écrite, des titres tels que L’Observateur, Vox Populi, Le Quotidien, EnQuête, Walf Quotidien, Sud Quotidien, etc) pour choisir « Yoor Yoor », ce quotidien dont la proximité avec le Pastef est de notoriété publique ? De même l’on peut s’interroger sur l’absence d’une de ces chaînes de télé et de radio majeures, telles la TFM, la Sen TV, I- TV, I-radio, Sud FM, etc en optant pour la 2 STV dont la rédaction est loin d’être aussi consistante que les rédactions des médias précités. Si en effet dans le choix des journalistes, l’on n’a pu trouver rien de mieux qu’Astou Dione, Mouhamed Diallo et Ablaye Diallo pour officier à cette interview à la place de tous ces journalistes aguerris que sont entre autres autres, Souleymane Niang, Alassane Samba Diop, Antoine Diouf, etc, c’est qu’on est mal barrés.
« Le format d’adresse à la nation est tout simplement ringard. 6 à 8 journalistes face au président ? Ils ont, je crois voulu satisfaire tous les courants médiatiques », a fait savoir le journaliste-chroniqueur Mamadou Ndiaye. D’après lui, « l’on aurait dû simplement choisir deux journalistes et ç'aurait été à la corporation de s’organiser pour faire l'option sur deux journalistes aguerris incollables sur les questions économiques, sur la relance, sur le sens de la répartie, sur les questions politiques nationales et qui ne développent aucun complexe face au président et qui seront là pour relancer le président, le challenger… »
Mamadou Ndiaye n’est d'ailleurs pas loin de penser que les journalistes n’ont pas fait leur boulot. « Ils étaient débonnaires, un peu consentants, un peu accommodants. Ils l’ont laissé discourir, quand bien même, à un moment, il a abordé un sujet d’importance qui touche directement les journalistes, le président de la république est même rentré dans leur surface de réparation, ils auraient pu le challenger sur la question, Maïmouna Ndour Faye aurait pu le faire, peut-être qu’elle était un peu dans l’émotion, j’en sais rien. Mais, ils n’ont pas contredit le président. Le fait d’avoir limité les journalistes n’était pas normal parce que le président devait être challengé sur la question des médias. Ils l’ont laissé dire ce qu’il veut. Ils avaient des questions de relance pour sonder la certitude de ce qu’il avançait sur le secteur médias, mais visiblement il ne connaît pas les médias, la question économique sur les médias, telle qu’il l’a abordée, ce n’est pas ça. Ils ont laissé le président dérouler. Mais cela devait un challenge. Ils devaient sonder l’âme profonde du président», soutient celui-ci, comme pour s’en désoler.
La vérité est qu’il est difficile d’avoir affaire à une interview digne de ce nom dans ces conditions. Non seulement six journalistes c'est trop pour garder le bon fil conducteur, mais encore cela raccourcit le temps de poser les bonnes questions et d'instaurer un vrai et bon débat. De plus, l'on peut se demander l'intérêt d'une interview lorsque l’interviewer ne peut point relancer l’interviewé, le but de l’interview, étant, quel que soit le médium, une pratique qui doit produire de l’information pour le lecteur, l’auditeur ou le téléspectateur. C’est en effet à l’interviewé d’apporter l’essentiel de l’information, là où l’intervieweur s’impose par la pertinence de ses questions, de ses relances, la qualité de son écoute et la clarté des reformulations.
Un format qui ne fait finalement que les affaires du président de la république et en aucun cas celles des journalistes qui sont encadrés et limités dans leur intervention, chaque journaliste n’ayant en effet droit qu’à une seule question sur un thème donné, comme se plaisait à le rappeler Mariama Dramé de la RTS, alors que le président tentait de préciser une de ses réponses. Un vrai cafouillage en direct de la modératrice, Mariama Dramé de la RTS qui semblait bien larguée.
Mais au-delà du format qui a eu comme conséquence de laisser l’avantage au président de la république, sur certains sujets, il était difficile de le suivre dans ses développements et sur la signification de certains de ses propos. Que voulait-il vraiment dire en déclarant qu’il veut « des ministres forts et un Premier ministre super-fort. » Cherche-t-il à se déresponsabiliser ou à se doter du minimum de pouvoirs possibles ? Une prise de position qui n'est pas à dire vrai, une première en ce qui concerne le Premier ministre, puisque le Président avait, lors d’un précédent face à face avec la presse, fait savoir qu’il se battait pour installer son premier ministre au pouvoir. Répéter en effet le même argument à chaque grande occasion de communication, finit par être lassant. Qu’il fasse ce qu’il a à faire, si son réel souhait est de porter le PM au pouvoir, au lieu de continuer à chercher à donner des gages à Ousmane Sonko, gages qui finiront au bout du compte par le discréditer quant à sa capacité à assumer une prérogative que lui octroie la constitution. Mais en aucun cas, son amitié pour Ousmane Sonko n'est pas un aspect qui compte en république. L'on n'a pas été par la suite étonné d'entendre Séga Bathily, ce proche d'Ousmane plaider pour Sonko à la tête de l'Etat. Une vraie sortie de piste.
De même, l’on peut s'étonner sur la posture du chef de l'Etat, car à la question de savoir si son prédécesseur pourrait être inquiété. Bassirou Diomaye Faye peut-il vouloir nous faire croire qu’il ne fait pas de fixation sur lui, qu’il ne lui en veut pas, mais avoue en même temps qu’il est en train de manœuvrer ? A-t-il vraiment « le cœur vide » comme il le prétend, en relevant les accolades qu’ils se sont faites, l’avion qu’il lui « a donné pour se rendre à la Mecque » ? N’y aurait-il pas une sorte de rancœur mal assumée ? Des déclarations en tout cas révélatrices d’un certain manque d’élégance, car le Président aurait pu se garder d’étaler sur la place publique, de tels propos, quand bien même les "manoeuvres" seraient fondées. A-t-on déjà entendu Wade ou Macky Sall parler de la sorte de leurs prédécesseurs ? De plus, soulignons tout de même qu’ Ousmane Sonko et certains de ses DG, voire ses partisans ont passé le plus clair de leur temps à critiquer et à étaler sur la place publique, les "cafards" du régime de Macky Sall, qui même s’il réside à l’étranger, reste un chef de parti qui dirige de loin et n’hésite pas à se défendre à chaque fois qu’il se sent agressé.
Mais dans ce jeu de questions-réponses, ce qui a surtout été choquant, c'est d'entendre le président de la république dire : "maintenant, il appartiendra aux Sénégalais de mettre la pression sur la Justice pour qu'elle fasse son travail" ! Une vraie invitation à l'ingérence dans le travail de la justice qu'un membre de l'exécutif, de surcroît le président de la république, aurait du éviter. L'on a même récemment noté des députés qui ont eu la même posture vis-à-vis du ministre de la justice qui ne se voit point intervenir dans le travail des juges. Une sorte de pression contre Ousmane Diagne qui ne dit pas son nom.
Peut mieux faire...
Sur la communication de manière générale, le président Bassirou Diomaye a en tout cas beaucoup de progrès à faire. Il gagnerait par exemple à mieux articuler ses discours, surtout dans une logique de garder la cohérence interne de la construction de ses phrases, afin d’éviter ce qui pourrait ressembler à des contradictions permanentes. Il doit surtout se garder d’utiliser certains mots qui relèvent plus du langage familier que du langage courant. Ben Makhtar Diop dans son verbatim du mardi 8 avril relève à cet effet que "les errements linguistiques du président son indamissibles et écornent son image", ajoutant que "le président du Sénégal ne doit pas commettre des fautes primaires".
La question que l’on devrait valablement se poser, est de savoir pourquoi les interviews ne se font plus en français ? Il est évident que le plus grand nombre de Sénégalais comprend wolof, mais qu’en est-il des autres qui ne comprennent pas le wolof ? Et les étrangers qui résident parmi nous et qu’on se plait à citer dans les discours présidentiels ?
Si en tout cas nos gouvernants veulent rendre leurs exercices de communication crédibles, ils doivent apprendre à se prêter sérieusement au jeu des questions réponses en laissant à la presse la responsabilité de choisir ses journalistes en nombre limité (deux ou trois), spécialisés dans les questions économiques, politiques, internationales, etc. avec de véritables background. La plupart des jeunes journalistes que l'on voit officier sur les plateaux-télé et internet sont en effet inexpérimentés, sans grande consistance intellectuelle, sans culture générale, sans souvent avec une bonne connaissance des faits politiques, économiques, etc. Une raison de ne pas les laisser mener des interviews où ils sont souvent complètements perdus, surtout que si en plus, l’un d’eux a été émerveillé, dans un passé récent de faire face pour la première fois à un certain président de la république. Apprenons à être sérieux, la démocratie a quelques exigences, comme une presse forte par exemple. Fusiller cette dernière, la dénigrer ou continuer à tenter de l'affaiblir économiquement, ne mène pas loin. Elle est si habituée à manger du pain noir que toute tentative de ce genre est inutile. Son pluralisme ne permet pas d'ailleurs de la contrôler. Une vraie perte de temps en somme pour la démocratie