NETTALI.COM - Une masseuse qui prend publiquement la parole pour dire à qui veut l’entendre que le Sénégal lui appartient ; qu’elle peut obtenir tout ce qu’elle veut comme somme d’argent, et qu’il ne lui suffit pour cela qu’elle passe juste un simple coup de fil. Sommes-nous en train de rêver ?

Pourtant non. L’on est bien au pays de Senghor. Ce pays jadis des brillants intellectuels de l’Afrique et de la diplomatie rayonnante, où la parole n'était pas donnée à n'importe qui.

Le pire avec la sortie de la masseuse Ndèye Khady Ndiaye, c’est qu’elle a poussé le culot jusqu’à attendre de la reconnaissance et des remerciements de la part des opposants d'alors ? Une posture bien curieuse en fait.

Lui doit-on à ce point quelque chose pour qu’elle ose faire une telle déclaration ? Peut-être se livre-t-elle dans la foulée à un chantage qui ne dit pas son nom ?

De deux choses l’une, soit elle estime avoir rendu un service, auquel cas, elle se voit en droit d’être rétribuée. Ce qui pourrait vouloir dire qu’elle ne s’était pas inscrite dans une logique de vérité, lorsqu’elle posait l’acte pour lequel elle attend de la reconnaissance ; soit, elle défendait un principe ou plus exactement la vérité, auquel cas, elle doit être indifférente à toute forme de reconnaissance ou remerciement.

Le journaliste-chroniqueur- d’Iradio / ITV, Ibou Fall n’est pas loin de penser qu’ « elle vient d’avoir le courage de dire ce qu’elle dit actuellement, alors qu’elle rasait les murs avant l’avènement du Pastef au pouvoir », évoquant une justice des vainqueurs en cours actuellement. Et celui-ci de préciser qu'« ’il y a d’autres soutiens (parce qu’on ne peut pas parler de militants de Pastef ), qui s’agitent dans la diaspora pour dire qu’ils ont financé les cocktails molotov, qui insultent puisque c’est le partage du butin qui a un problème. Il y’en a qu’on a servi et d’autres qui sont fâchés ». Pour Ibou Fall, « elle n’osait pas dire cela, il y a un an », ajoutant que Ndèye Khady Ndiaye « ne craint pas les autorités actuelles ».

Et comme si cela ne suffisait pas, Ndèye Khady Ndiaye est revenue à la charge pour préciser ses propos. « Si vous voulez savoir, vous saurez. Tout ce que j’ai obtenu, je l’ai obtenu à la sueur de mon front. Ce n’est ni Ousmane Sonko, ni Diomaye Faye qui me l’ont donné. Avant que quelqu’un ne puisse vous remettre de l’argent, il faudrait bien qu’il commence par vous dire merci. Et comment quelqu'un qui n’est pas remercié, peut-il recevoir de l’argent ? Depuis qu’ils ont pris le pouvoir en 2021 à 2025, aucun d’être eux n’a pris son téléphone pour m’appeler. Il y a des audios qu’ils m’ont envoyés dans le groupe »

Bref, la question que l’on est en droit, dès lors de se poser, est de savoir pourquoi celle-ci a senti le besoin de préciser ses propos ? Pourquoi aurait-elle besoin d’être remerciée ? Difficile de ne pas voir dans sa nouvelle posture, une sorte rétractation de ses propos d'avant. Ce qui la rend d’autant moins crédible.

Il y a en tout cas derrière ces deux sorties de Ndèye Khady Ndiaye, des choses qu’on ne nous dit pas et des niveaux de liaisons insoupçonnés à éclairer.

On peut toutefois sur un autre plan, concevoir qu’elle soit aussi dans un simple délire, à force de messages subliminaux.

Si l’on se retrouve en effet dans une situation où ce sont deux masseuses qui impriment le rythme du débat public ou que le grand public perde son temps à pérorer sur leurs déclarations, au gré de leurs apparitions, c’est bien parce que le débat est au ras de pâquerettes dans ce pays, avec une parole publique qui est devenue accessible à tous. La faute sans doute aux réseaux sociaux qui font plus de mal que de bien, en raison d’une multiplication des canaux de communication que cela permet et également d'une mauvaise appropriation de l’outil au Sénégal.

Entendons-nous bien le métier de masseuse de salon de beauté, inconnu du grand public jusqu’au déclenchement de l’affaire sweat beauty, n’a pas une bonne image. On aura beau tenter de lui attribuer des vertus, il n’en aura jamais. Comment a-t-on pu penser une seconde que des masseuses pour le confort et la détente, aient pu être dotées de compétences thérapeutiques ? Telles des kinésithérapeutes ou des étiopathes voire ostéopathes ou encore comme ceux-là qui ont hérité d’un savoir et compétence ancestraux transmis de génération en génération.

Le milieu du massage sert même en vérité de réceptacle et de « bouée de sauvetage » à des jeunes femmes en rupture avec le milieu scolaire et en manque de vocation. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter les deux s’exprimer. Adji Raby Sarr, l’employée du salon de massage et Ndèye Khady Ndiaye sa patronne d’alors, ont en commun cette particularité, celle de n’avoir pas du tout froid aux yeux et d’utiliser un vocabulaire loin d’être recommandable.

Elles sont à la vérité devenues une épine dans le pied des Sénégalais, à un point tel que l’ombre de la jeune masseuse Adji Sarr a même récemment plané dans le débat parlementaire relatif à la loi interprétative liée à la loi d’amnistie votée.

La députée Ousmane Sonko de Pastef (à ne pas confondre avec le Premier ministre) a ainsi demandé en plein débat parlementaire, à ce qu’on ramène Adji Sarr en terre sénégalaise pour la juger car elle serait la cause de tous ces événements survenus depuis 2021 et de toutes ces personnes tuées. Sauf que la députés était complètement à côté de la plaque. Il aurait sans doute fallu qu’Ousmane Sonko, le PM, fût blanchi dans cette affaire où il a été accusé et qu’à son tour il décidât de poursuivre la masseuse.

L’impérieuse nécessité de faire monter le niveau du débat

Ce pays a changé. Vraiment changé. Dans le mauvais sens du terme. Les acteurs politiques aussi ont changé. Les méthodes politiques également. Et le discours baveux, nauséabond révèle tout cela. Cette mise en scène des injures, de la culture de la haine, du dénigrement, du lynchage médiatique, ce recours abusif à la manipulation, ce refus des différences et ce dogmatisme digne des âges les plus sombres, n’a par exemple rien à voir avec l’esprit du 23 juin 2011.

Cet esprit eh bien, il n’était pas à la vérité tombé du ciel. C’était bien le fruit mûr d’un processus mené avec une très grande finesse par l’opposition d’alors et la société civile. C’est le consensus et l’éthique discursive qui avaient prévalu, loin du bruit. Dans la transpiration à la fois physique et cérébrale. Les Assises nationales, faut-il le rappeler, avaient fini de produire leurs conclusions au terme d’un travail titanesque de franges entières de la société, dans une approche inclusive.

C’est la faute au régime précédent et aux opposants d’alors, toute obédience confondue, pour n’avoir pas su élever le débat en laissant les « chroniqueurs », « mercenaires» de tout acabit, occuper impunément les médias, certains insultant et menaçant, d'autres déballant, dénigrant, etc. Comble du paradoxe, l’on cherche aujourd’hui à bannir ceux-là des plateaux. Le régime passé comme présent a connu sa période sombre d'insulteurs. Qui ne se rappelle pas des insultes de Kaliphone, proférées contre le président Macky Sall ? Aujourd'hui, Mollah Morgan et d'autres font la pluie et le beau temps sur les réseaux. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles, la liste des "chroniqueurs" et "activistes", convoqués en justice, condamnés avec sursis ou emprisonnés pour certains, est en train de s'allonger parce qu'on les poursuit pour des dérives langagières, diffusion de fausses nouvelles ou parfois pour des propos injurieux.

Les autorités sont sans doute aujourd’hui arrivées au constat que ces "chroniqueurs ", "activistes", etc ont acquis beaucoup de pouvoir en occupant désormais les plateaux-télé, internet et les réseaux sociaux, en se nourrissant des contenus des médias qu’ils commentent allègrement en les amplifiant à leur manière. La conséquence, ce sont des torrents d’opinions qui font désormais écho auprès d’un grand public souvent incapable de démêler le faux du vrai. Ce qui est d’autant plus préoccupant, c’est que leur parole a aujourd’hui autant de valeur que celle d’un homme de science et de culture.

Le constat est tout simplement amer. L’on assiste à un délitement continu de notre société. Notre démocratie est malmenée et l’on ne semble pas prendre la pleine mesure de sa chute qui est en train de s’opérer. La république s’efface, le réflexe partisan et sectaire prend le dessus, les compétences et l’expérience sont reléguées au second plan, avec comme conséquence un Sénégal divisé.

Le pire, c’est qu’avec les réseaux sociaux, le peuple est ramené à un simple niveau de données, emporté par des vagues de manipulations qui sont partout, quels que soient les états-majors politiques. Le peuple est aujourd’hui capturé par la passion, les émotions, la stigmatisation, le dénigrement, les peurs. Ce qui entraîne presque ses membres à devoir choisir un camp. Ce qui d’une certaine manière, les oblige à renoncer à être des citoyens capables de juger par eux-mêmes, d’agir seuls, mais plutôt en meute, en cherchant à justifier et à trouver des circonstances atténuantes aux actes des hommes politiques, selon le bord auquel on appartient.

La vérité est que d’un point de vue de respect des institutions, le président de la république doit cesser de servir au peuple, ce discours qui consiste à faire part de ses intentions de renforcer son Premier ministre et ses ministres. Il doit continuer à assumer sa mission conformément à ses prérogatives constitutionnelles jusqu’à ce qu’il décide d’en changer les règles.

L’indépendance de la justice, tout comme l’état de droit doivent être sauvegardés. C’est pourquoi la demande aux populations d'exercer une pression sur la justice, est une erreur monumentale.

Les actes de dénigrement ou ces velléités d’étouffement de la presse, doivent cesser si l’on veut renforcer le jeu démocratique et donner au 4ème pouvoir qui assure une mission de service public, tout en participant à l’éveil et à l’éducation des populations, les capacités de mieux faire son travail.

Bien sûr qu’ il faut poursuivre la reddition des comptes, c’est normal et nécessaire. Mais il faut le faire en s’inscrivant dans le respect strict des procédures et de la loi. Tout comme, il faut faire régner l’ordre, mais un ordre républicain, mais en aucun un basé sur la subjectivité ou un esprit revanchard.

Nos acteurs politiques ont ce sacerdoce, celui de faire monter le niveau du curseur en intelligence et de faire baisser les polémiques inutiles. L’on ne peut pas en effet après un an de pouvoir continuer à nous tympaniser avec les cafards du régime de Macky Sall. Nos gouvernants doivent cesser de regarder dans le rétroviseur et laisser les institutions de contrôle et la justice prendre en charge les dossiers judiciaires, non pas seulement avec célérité comme le suggère le Premier ministre, mai aussi avec sérénité.

Nous devons impérativement retrouver les attributs de la souveraineté nationale, une souveraineté populaire qui redonne le pouvoir au peuple, réapprendre à être une démocratie, une république. Il faut donc arrêter ce processus mortel, celui du délitement de la société et c’est seulement en ce moment-là que le débat ou plus exactement un vrai dialogue apaisé pourra s’instaurer.