NETTALI.COM - Même si quelques députés avaient boycotté les questions orales auxquelles étaient soumises, le lundi 14 avril, le Premier ministre Ousmane Sonko, le député Pape Djibril Fall, présent à l’hémicycle, s'est interrogé notamment sur l’opportunité d’envoyer nos jeunes et nos compétences respectivement en Espagne et au Qatar ; sur le recasement des marchands ambulants et sur celle l’exercice de la justice en rapport avec les convocations des journalistes, etc.

Mais dès l’entame de la question de Pape Djibril Fall, l’on sentait déjà, de par le regard figé et hostile du Premier ministre, si bien qu’au moment de répondre au député, il était difficile de ne pas noter le ton dur et polémique d’Ousmane Sonko. Signe sans doute d’une volonté d’en découdre. Comme à son habitude avec les députés de l'opposition. Qu’est-ce qu’il aime sermonner et menacer les députés qui osent poser certaines questions qui fâchent ! Il s'en était par exemple pris à Abdou Karim Sall qui n'avait pas non plus épargné la gestion du régime actuel. Le PM faisait ainsi savoir à Sall, qu'il aurait été convoqué, "sans l'immunité de son mandat", comme tous les membres de  sa famille politique impliqués, mentionnant au passage qu'il était "ministre de l’Environnement au moment de la commande des armes à 45 milliards pour ce département "

Et pourtant, il ne fallait voir derrière les questions du jeune député Pape Djibril Fall, qu’une manière de relayer un certain ressenti de l'opinion.

A la vérité, un député ne siège pas à l’Assemblée pour plaire, pour caresser et encore moins pour être complaisant. Il n’y est pas non plus pour être discourtois et hostile. Il pose les questions qui lui semblent légitimes et qui découlent du vrai pouls du peuple.

Ce qui était surtout gênant, c’est de voir Ousmane Sonko se balancer sur son fauteuil pendant que des questions lui étaient adressées. Une posture loin d’être appropriée pour un Premier ministre.

Sacré Sonko, il ne semble pas beaucoup aimer la contradiction et accepter les critiques. Il aime décidément se positionner en maître du jeu et des lieux.

C’est comme une nature qui revient au galop. Celle de se délecter lorsqu’il participe à son exercice favori, celui de croiser le fer avec ceux-là qu’il considère comme des empêcheurs de tourner en rond : la presse, les magistrats (il prend peine en disant certains) et l’opposition.

Et même si tout n’a pas été offensant dans son discours, ce qui est attendu de lui, c’est simplement qu’il explique, qu’il fasse comprendre, qu’il se montre courtois et pédagogue. Mais en aucun cas, il ne doit s’inscrire dans une logique de traiter les « chroniqueurs » d’être à la solde de commanditaires terrés, de s’en prendre aux journalistes, etc. Les jugements de valeur et les leçons de morale ne font que banaliser et polluer un discours.

Lors de son oral en tout cas, Ousmane Sonko a précisé à l’endroit de son auditoire et des journalistes, mais aussi en guise de rappel, que pour ce qui est de la responsabilité des journalistes qui reprennent des articles, c’est le rédacteur en chef ou le directeur de publication, le premier responsable. Tout cela pour dire que l’ombre de Simon Faye, rédacteur en chef de Sen TV, placé en garde à vue, puis sous contrôle judiciaire avec un dossier qui reste en instruction, au 3e cabinet, a plané.

Pour le PM, «la justice est un service public ». Aussi, a-t-il estimé que « le peuple a le droit de mettre la pression sur elle, comme il le fait sur le président de la République, comme il le fait sur le Premier ministre. » « On dit le temps de la justice n'est pas le temps des hommes ; le temps de la justice est le temps des hommes, parce que la justice est rendue au nom des hommes. Elle doit être rendue avec célérité. C'est un principe fondamental. On peut même en poursuivre des magistrats », a précisé le premier ministre.

Allant plus loin, il a souligné : « Je vais vous dire une chose ; jusque-là, je ne me suis pas intéressé à ces questions. Je n'ai jamais fait arrêter quelqu'un. Mais sur ces questions (atteintes à l'honneur et fausses nouvelles), à partir d'aujourd'hui, j'assume. Chacun a le droit d'exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l'image, la marche pacifique, pourvu que l'exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l'honneur et à la considération d'autrui, ni à l'ordre public. Désormais dans ce domaine, la politique pénale, c’est zéro tolérance. Diffusion de fausses nouvelles, c’est zéro tolérance dans ce pays ».

Se sentant sans doute offensé par l’attitude du Premier ministre, surtout en ce qui concerne ses positions sur la justice, le député Pape Djibril Fall, en conférence de presse ce mardi 15 avril, a vivement critiqué ce qu’il qualifie d’ingérence politique dans le fonctionnement de la justice sénégalaise. S’insurgeant contre un supposé "acharnement" visant le ministre de la Justice, il a interpellé l’Union des magistrats du Sénégal, l’exhortant à défendre l’indépendance du pouvoir judiciaire. À ses yeux, c’est au chef de l’État, et non à la justice, que la pression populaire doit être dirigée afin de garantir une magistrature libre de toute influence. Il a aussi accusé le Premier ministre Ousmane Sonko de vouloir centraliser le contrôle du Conseil supérieur de la magistrature, en violation de la séparation des pouvoirs. Selon lui, les affectations punitives de certains magistrats et l’implication directe du pouvoir exécutif dans des dossiers judiciaires révèlent un climat de dérive autoritaire incompatible avec les principes de l’État de droit.

Qui pour ne pas être d’accord avec le Premier ministre Ousmane Sonko qu’il nous dit que dans l'exercice de ce droit qu’est la liberté d’expression, nul ne doit porter atteinte ni à l'honneur et à la considération d'autrui, ni à l'ordre public ? Dans cette logique celui-ci nous informe désormais, dans ce domaine, la politique pénale, c'est zéro tolérance. Diffusion de fausses nouvelles, c'est zéro tolérance dans ce pays".

Ousmane Sonko ignore certainement que la diffusion de fausses nouvelles et la diffamation font partie des infractions non tolérées par la justice. Il devrait pourtant le savoir, lui qui a été empêché de participer à l’élection présidentielle parce que justement, il a été condamné pour diffamation dans l’affaire Mame Mbaye Niang.

Mieux, pour ce qui concerne la presse, non seulement le code de la presse, voté en 2017 et encore en vigueur, n’a pas consacré la dépénalisation des délits de presse (diffamation et diffusion de fausses nouvelles) telle que demandée par les professionnels des médias, mais il a surtout introduit plusieurs autres sanctions administratives et pénales qui n’existaient pas auparavant.

Ousmane Sonko enfonce donc une porte déjà ouverte lorsqu’il menace ceux qui se seraient rendus coupables de diffusion de fausses nouvelles. Un délit prévue par l’article 255 du Code pénal qui fait d’ailleurs partie des infractions les plus liberticides de notre arsenal répressif.

La politique pénale est définie par le président de la république, mais appliquée par la justice

Sur la question de la politique pénale qu’il évoque, Ousmane Sonko semble en effet oublier qu’elle n’est pas déterminée par le Premier ministre, mais par le Chef de l’Etat et c’est le ministère de la justice qui est chargé de sa conduite. Et Le président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums) qui s’est prononcé sur les questions de l'actualité relative au secteur de la justice, est d'avis que les magistrats ne définissent pas la politique pénale, mais soutient toutefois que son application est de leur ressort. Une phrase qui sonne comme une réponse aux propos tenus par le Premier ministre à l'Assemblée nationale, lundi dernier. « c'est à nous, les magistrats, d'appliquer ces lois. Et quand nous le faisons, aucun autre pouvoir n'a le droit, ni la responsabilité d'intervenir. Ce sont des rôles bien définis et bien dispatchés par la Constitution. Moi, le judiciaire, je sais où et quand commencer mon rôle », dit-il. Et à l’en croire, il faut du temps pour certaines poursuites.

Et le bémol, c’est que ces questions ne sont jamais discutées en public, à plus forte raison devant l’Assemblée nationale, au moment où toutes les caméras y sont braquées.

Le ministre de la Justice a en effet toujours diffusé, en interne, une circulaire de politique pénale générale, présentée au cours de la traditionnelle conférence annuelle des chefs de Parquet. Ce qui constitue le référentiel dans la conduite de l’action publique. Cette politique pénale, prise dans l’intérêt de la population, ne peut donc changer au gré des humeurs d’un Premier ministre.

La politique pénale permet en vérité d’uniformiser la réponse pénale au niveau national afin d’assurer une garantie de sécurité juridique des citoyens, tout en renforçant l’impartialité du ministère public. Ce qui, en aucun cas, ne peut entamer le pouvoir d’appréciation du procureur, lorsque notamment les singularités d’une situation requièrent une approche inédite.

Dans l’exercice des poursuites, les parquets sont invités à veiller au bon équilibre entre, d’une part, la préservation de la sécurité publique et de l’intégrité des victimes présumées et d’autre part, le respect des droits des personnes suspectes ou poursuivies.

La politique pénale vise à la vérité à faire disparaître à jamais de l’univers judiciaire des pratiques longtemps mises à l’index mais qui semblent persister encore, parce qu’on les croit à tort procéder d’une nécessité impérieuse.

Par exemple, dans la circulaire du ministère de la justice, on y voit souvent des prescriptions pertinentes qui sont proposées, notamment, la mise en détention provisoire qui n’est pas forcément la meilleure réponse à apporter à une certaine délinquance. Il est recommandé d’éviter la banalisation de l’emprisonnement.

La circulaire invite donc à n’envisager le mandat de dépôt que quand il est strictement nécessaire et légal. Le mandat de dépôt du flagrant délit doit être fugace pour être normal. Ce n’est en effet que parce que l’enrôlement rapide, qui est le corollaire de la procédure de flagrance, n’est pas toujours respecté que les Procureurs ont systématiquement recours à la détention.

- La fermeté contre les faits qui sont susceptibles de constituer une menace contre la stabilité du pays. Par exemple, il a été décidé de ne faire aucune concession au terrorisme, à la traite des personnes et au trafic de migrants ainsi qu’à la délinquance économique et financière.

La circulaire invite également les procureurs à être ferme en ce qui concerne les comportements qui déstabilisent notre ordre social. Le vol de bétail, les infractions contre l’environnement dont l’exploitation illégale des forêts et du littoral, sont des infractions qui perturbent directement l’équilibre de la société au même titre que les atteintes à la vie privée par la diffusion d’images ou de contenus privés non autorisés, d’injures et autres infractions portant atteinte à la considération et à l’honorabilité des citoyens.

Donc la justice, depuis Abdoulaye Wade en passant par Macky Sall n’a pas attendu un acteur de l’exécutif pour gérer au mieux les intérêts des populations.

Célérité mais aussi sérénité

Pour ce qui est de la célérité exigée par le Premier ministre, il est bon de lui rappeler que dame justice doit aussi fonctionner avec sérénité. La magistrature fonctionne en effet sur la base des moyens mis à sa disposition par l’Exécutif. Et on demande à 530 magistrats (ceux qui sont en position de détachement sont compris dans ce nombre) de rendre la justice pour les 18 millions de Sénégalais que nous sommes et de travailler en même temps avec célérité et sérénité, tout en respectant les droits de la défense.

Déjà, lors des assises de la justice initiées par le président Bassirou Diomaye Faye, il a été recommandé, outre la réforme de certains textes, le renforcement du personnel de la justice pour mieux prendre en compte les préoccupations des Sénégalais en la matière.

Commençons par cela, avant de mettre la pression sur la justice car l’obligation de moyens précède l’obligation de résultats. Le Premier ministre, Ousmane Sonko, ne devrait pas l’ignorer.

Et Ousmane Chimère Diouf de l’Ums rejette d’ailleurs toute idée de pression. « Interrogez l'ensemble des magistrats, ils vous diront la même chose. La justice ne rime pas avec la pression. La justice doit être imperméable à toute forme de pression, d'où qu'elle vienne et quel que soit son origine », a-t-il déclaré.

De même qu’il rejette aussi la supposée instrumentalisation de la justice que dénoncent certains membres de l'opposition.

Au-delà, personne n’est d’accord avec les insultes, le dénigrement, la calomnie, etc d’où qu’ils viennent, que cela soit de la part de journalistes, de « chroniqueurs », d’activistes, de militants de partis, d’hommes politiques, des foras etc. Et pour ce qui est des « insulteurs », le chroniqueur Ibou Fall semble avoir trouvé la parade puisqu’il ne rate aucune occasion pour tourner en dérision son « saga club » (club d’insulteurs). Comme quoi, il y a d’autres moyens que la judiciarisation pour régler les problèmes. Comme par exemple, dans le cas des journalistes, les hommes des médias sont bien plus soucieux de leurs réputations lorsqu’ils sont jugés par leurs pairs que le contraire : Le Conseil pour l’Observation des Règles d’Éthique et de Déontologie dans les médias (CORED).

Il y a en tout cas lieu de relever le curseur en intelligence dans le discours, mais surtout en profondeur pour commencer enfin à évoquer de vraies questions comme celle de la monnaie qui est un sujet sérieux à ne pas traiter avec autant de désinvolture, alors qu’elle est déterminante pour notre futur. Il y a beaucoup d’autres sujets qui méritent un traitement plus serein que ces pugilats verbaux ou joutes oratoires sans fond : la politique agricole, la politique industrielle, la formation, l’emploi, les impôts, l’efficacité de l’administration, etc. La liste est loin d’être exhaustive ! Mais ce qu'il faut, c'est surtout qu'on sorte de ce duel Pastef et APR. Ils ne sont pas les seuls sénégalais sur cette terre.