CONTRIBUTION - Nonobstant le caractère imprescriptible des crimes de tortures, d'assassinat, de traitement inhumain et dégradant, le conseil constitutionnel rejette sur le fondement de sa non-conformité à la constitution la loi dite interprétative. Ce rejet est le résultat d'un raisonnement scientifique basé sur la confrontation de deux thèses par rapport à la loi fondamentale.

D'abord, sur la forme, le conseil rejette tous les moyens invoqués par le président de l'assemblée nationale et l'agent judiciaire de l'Etat.

Relativement à la compétence du conseil, le PAN et L'AJE déclarent le conseil incompétent sur le fondement que ce dernier ne peut connaître de la constitutionnalité d'une loi interprétative par rapport à la constitution. Dans le même sens, ils déclarent que la loi interprétative n'est pas une loi nouvelle et ne saurait donc faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'action. Enfin, que le conseil constitutionnel n'est pas un juge de l'opportunité ou de la qualification formelle de la loi.

En réponse, aux mémoires de défenses présentées par le PAN et l'AJE, le conseil les renvoie à l'article 92 de la constitution qui lui confère le pouvoir du contrôle de la constitutionnalité des lois.

Dans un raisonnement péremptoire, le conseil rappelle un principe sacrosaint en droit “ on ne distingue pas là où la loi ne distingue pas” dans son considérant 5 ainsi qu'il suit “ considérant que ce texte ne distingue pas les lois en fonction de leur caractère interprétatif ou non ....indépendamment de la loi qu'elle interprète, faire l'objet d'un recours par voie d'action, conformément à l'article 74 de la constitution”

Concernant la recevabilité de la requête, l'agent judiciaire de l'Etat s'est borné à invoquer l'absence de signature de 4 des 28 requérants et l'absence de l'exposé des motifs de la loi déférée au dossier.

Le conseil rejette le moyen tiré de l'absence de l'exposé des motifs dans le dossier au motif que ce dernier vise à éclairer le sens et la démarche mais n'a pas un caractère normatif.

Fidèle à sa démarche scientifique, le conseil décide qu'en l'absence de signature de 4 des 28 requérants c'est à dire de la validité des conditions de formes des 24 autres (Notez que le conseil peut être saisi par 17 députés) et de la présence dans le dossier de deux copies de la loi attaquée, la requête demeure recevable conformément à l'article 74 de la constitution et 16 de la loi organique 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel.

Ensuite, sur le fond, le conseil rejette l'article 1 de la loi interprétative, objet de la saisine des requérants sur le fondement qu'elle est contraire à la constitution.

Toutefois, en vertu de l'article 17 de la loi organique 2016-23 du 14 juillet 2016 qui lui confère le pouvoir de soulever d'office une disposition violant la constitution même si cette dernière ne fait pas l'objet de la saisine, le conseil constitutionnel décide que le législateur ne peut faire obstacle à la répression d'une catégorie d'infraction jugée imprescriptible. Primo, sur le moyen tiré de l'article 1 de la interprétative, les demandeurs (24 députés) estiment qu “ ...une loi n'est interprétative que tant qu'elle se borne à reconnaître sans rien innover...). Ainsi, en excluant de son champ d'application tous les faits “sans lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique” le législateur viole les principes d'intelligibilité, d'accessibilité et de sécurité juridique”.

Dans leurs mémoires en défenses, le PAN et l'AJE invoquent l'ambiguïté de la loi portant amnistie du 13 mars 2024.

Le conseil décide que le principe d'intelligibilité est lié au principe de clarté et la seule exclusion de faits du champ d'application de la loi portant amnistie par la loi interprétative ne suffit pas pour invoquer la violation du principe d'intelligibilité.

Dans le même temps, les requérants invoquent une modification substantielle de la loi portant amnistie du 13 mars 2024 qui rend possible le jugement de faits amnistiés. Par conséquent, la loi perd son caractère interprétatif et viole le principe de la non rétro activité des lois pénales plus sévères. Toujours, selon les requérants la loi interprétative exonère certaines personnes de toutes responsabilités et ne le fait pas pour d'autres, ce qui inscrit une discrimination qui rompt avec le principe d'égalité.

En réponse aux moyens invoqués par les requérants, le PAN et l'AJE défendent la thèse selon laquelle “ ....la loi est une loi interprétative .... et se distingue des lois pénales de fond” “... elle se borne à rendre plus claire une disposition ambiguë et sujette à controverse....”

Le conseil constitutionnel, après avoir confronté les deux thèses décide, dans un raisonnement holistique qu “une loi est considérée interprétative.... sans poser une règle nouvelle”. Ainsi, étant donné que la loi portant amnistie du 13 mars 2024 ne présentait aucune ambiguïté, nul besoin de l'interpréter.

Cette même loi interprétative restreignait le champ d'application de la loi portant amnistie et même viole l'article 9 de la constitution et 8 de la DDHC de 1789 en vertu desquels “ Nul ne peut être condamné si ce n'est en vertu d'une loi entrée en vigueur avant l'acte commis” qui prohibe l'application des lois pénales plus sévères même si elles ont un caractère interprétatif.

Ainsi l'alinéa premier de l'article 1 de la loi dite interprétative pose une règle nouvelle en omettant de sa surface les faits se rapportant à des manifestations ou ayant une motivation politique lorsque ces faits ne sont liés à l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique.

Par conséquent, étant plus sévère que la loi initiale, l'alinéa premier de l'article 1 de la loi interprétative viole le principe de la non rétro activité des lois pénales plus sévères.

Secundo, sur le moyen tiré de l'alinéa 2 de l'article 1 relatif à la conformité à la constitution.

Le conseil, en vertu de l'article 17 de la loi organique 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel doit soulever d'office une violation de la constitution lorsqu'elle n'est pas invoquée.

Le conseil constitutionnel, dans son rôle de gardien des libertés publiques invoque les instruments internationaux auxquels le Sénégal a souscrit (ONU, OUA) qui déclarent imprescriptibles et non amnistiable certaines catégories d'infractions.

En vertu de l'article 9 alinéa 3 de la constitution et de la charte Africaine des droits de l'homme et des peuples en son article 5 “Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine(...). Toute forme d'exploitation ou d'avilissement de l'homme notamment (...) la torture physique ou morale et les peines ou traitements cruels, dégradants, inhumains sont interdits”.

Ainsi le conseil en déduit que le vote d'une loi si interprétative soit elle ne saurait faire obstacle à la répression de crimes imprescriptible. En conséquence, les infractions imprescriptibles qu'elles aient un lien avec l'exercice d'une liberté publique ou d'un droit démocratique ne peuvent être amnistiés car il viole la constitution.

L'analyse d'une telle décision nous pousse à affirmer avec force la victoire du droit sur la politique. En effet, le conseil constitutionnel, dans un raisonnement péremptoire a rendu une décision rappelant des principes sacrosaints de droit à savoir le principe d'intelligibilité, d'accessibilité, de sécurité juridique, de la non rétro activité des lois pénales plus sévères et enfin de la supériorité des engagements internationaux.

LEYE SAMBA Juriste