NETTALI.COM - A voir ces Sénégalais, - artistes, musiciens, communicateurs traditionnels, hauts fonctionnaires, animateurs, directeurs administratifs et financiers, comptables publics, hommes politiques, sportifs, musiciens, acteurs culturels, directeurs d’hôpital, entrepreneurs, commerçants, etc, - placés en garde à vue et qui défilaient devant les juges pour consigner des montants afin d’acheter leur liberté, il y a à se poser des questions sur le rapport à l’argent dans notre société, surtout en ce qui concerne la gestion des fonds publics.
Et même si tous ceux-là qui ont consigné des montants et biens valorisés sont présumés innocents jusqu’à preuve du contraire, - le fait de consigner ne voulant pas dire qu’ils sont coupables de quelque chose, l’argent pourra leur être rendu s’ils ne sont pas coupables - , il reste que dans le cas par exemple dans le cad du dossier des fonds covid, l’essentiel des griefs ne porte pas sur 1 000 milliards, contrairement à ce que certains ont pu soutenir, mais plutôt sur 6,68 milliards F CFA, représentant 1,06 % du montant total du Programme de résilience sociale. C’est du moins ce qu’avait rapporté le gouvernement de l’époque, au cours d’une conférence de presse.
Des "surplus" et un contexte particulier ?
Au-delà des montants distribués pour soutenir des corps de métier, en raison d’un manque à gagner évident pour des pans entiers d’activités, ainsi que pour certains particuliers sénégalais dans le contexte de pandémie, il est aussi question de scruter l’équation des attributions de marchés, avec l’objectif de voir s’il n’y a pas eu d’entreprise de prédation adossée à des surfacturations ou pas et des connexions au sommet.
Toujours est-il que le rapport définitif de la Cour des comptes indiquait bien que “le montant du surplus facturé par les fournisseurs qui s’établit à 2 749 927 498 F CFA”. Et comment ? “Les prix facturés pour l’acquisition des gels hydroalcooliques et des denrées, doivent être conformes à ceux prévus par les arrêtés susvisés portant homologation des prix. La cour constate que les prix d’acquisition sont supérieurs à ceux fixés par les arrêtés précités” et décortique plus clairement les termes de la présumée surfacturation, en ces termes : “concernant les acquisitions de riz, l’arrêté n°007111 précité fixe le prix de la tonne chez le grossiste à 245 000 F CFA la tonne ; les frais de manutention sont fixés à 5 001 F CFA la tonne par le ministère du Commerce, soit un prix global de 250 001 F CFA. Or, il a été fixé par le MDCEST à 275 000 F CFA la tonne, soit un manque à gagner de 24 999 F CFA par tonne”.
Au-delà des surplus relevés dans le rapport de la Cour des comptes en rapport avec les arrêtés portant homologation des prix, il convient toutefois de préciser que les faits incriminés dans le rapport de la Cour des comptes se sont déroulés dans un contexte particulier. On était en effet à une époque de pandémie à l’échelle internationale. Et les échanges commerciaux internationaux étaient au ralenti. Certains pays, comme l’inde par exemple avaient même suspendu leur importation de riz pour prévenir d’éventuelles pénuries. Le riz, très prisé au Sénégal, était donc une denrée assez rare et ceux qui disposaient de stocks, les écoulaient à un prix frisant l’usure.
De plus, l’on était dans un contexte particulier et le président Macky Sall avait obtenu de l’Assemblée nationale, le vote d’une loi qui suspendait provisoirement, du fait de l’urgence, l’exigence de respecter le Code des marchés publiques. Il était donc permis de lancer des marchés sans appel d’offres, même s’il faut le dire, l’exigence de respecter les règles de bonne gestion des deniers publics, était toujours de mise.
Il est de même d'autant plus permis de se poser des questions sur la pertinence même d’acheter du riz au prix fort, alors qu’on pouvait tout simplement distribuer de l’argent prévu destiné aux personnes cibles afin de leur venir en aide conformément à la directive présidentielle. Ailleurs, pas loin de chez nous, en Côte d’Ivoire, ce sont des transferts d’argent qui avaient été effectués.
Faisons tout de même remarquer que tous les Sénégalais n’avaient pas de besoins en riz, mais avaient juste besoin d’argent pour se procurer de produits divers voire de résoudre d'autres problèmes.
Les transferts d’argent ont cette vertu, celle de laisser la liberté aux Sénégalais de se procurer ce dont ils avaient besoin, mais encore de laisser au moins des traces.
A cela, s’ajoute le fait que nous soyons dans une culture de manipulation de l’argent liquide, qu’il s'avère si difficile de garantir la transparence dans les transactions.
Mais tout cela évidemment, est à laisser à la discrétion des juges qui apprécieront si oui ou non le contexte pouvait justifier un certain niveau de prix, ou si le choix de certains procédés n’était pas suspect.
Des cautionnements et des saisies effectués
Toujours est-il, ainsi que nous l’apprend le journal Enquête, sur les 2,7 milliards considérés comme du surplus, la société Avanti, spécialisée dans la distribution du riz, même si elle ratisse dans d’autres domaines, se taille la part du lion avec 1,1 milliard, suivi par Afri&Co 749,989 millions, CCMN 749,970 millions F CFA. Avanti, qui a son siège à l’avenue Lamine Guèye, était restée discrète dans cette affaire depuis que le dossier a été agité, malgré les charges lourdes retenues contre elle. Et si Rayan Hachem, dont le nom est associé à la boîte Planet Kebab, est bien connu à Dakar, celui qui se cache derrière lui, qui est le vrai patron d’Avanti, est quant à lui d’une extrême discrétion. Il s’agit de Ramez Samir Bourgi.
Moustapha Ndiaye et Rayam Hachem ne sont pas les seules personnes entendues sur le riz. Selon nos sources, Mouhamed Dieng de la société Bambouck est aussi sous la menace de la prison. Il est politique et membre de l’Alliance pour la République (APR) dans le département de Koungheul. Il fut membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese).
Ce que l’on pourrait être tenté de croire, c’est qu’il y a des anguilles sous beaucoup de roches et qu’à force de creuser, les enquêteurs pourraient tomber sur d’autres affaires plus nébuleuses.
À noter qu’avant ces gros calibres de l’agrobusiness sénégalais, l’ex-directeur de l’Administration générale et de l’équipement du ministère du Développement communautaire, de l’Équité sociale et territoriale, Aziz Sow avait été arrêté pour surfacturation sur le riz.
Aux dernières nouvelles, certains ont bel et bien accepté le principe de cautionner à coups de montants faramineux. Nous y reviendrons dans notre prochaine édition. Et le journal Libération de nous apprendre que Rayam Hachem et Moustapha Ndiaye ont respectivement consigné pour 1,8 milliards et 700 millions de francs CFA.
Pour l’heure cinq (5) anciens ministres impliqués dans cette affaire de fonds Covid-19, sont dans le viseur de la justice. Mais avant cette étape justice, ils devront d’abord passer par la case Assemblée nationale qui se prononcera ou non sur d'éventuelles poursuites devant la Haute Cour de justice, la seule juridiction habilitée à juger le président et des ministres en fonction. Outre la confirmation des ministres Mansour Faye et Moustapha Diop, la Conférence des présidents cite également Aissatou Sophie Gladima et Salimata Diop. Mais la grande surprise, c'est l'ancien ministre de la Justice, ancien ministre des Affaires étrangères Ismaila Madior Fall.
L’administration de la justice n’a pas besoin que de célérité
Tout cela pour dire que les juges ont du boulot. Un boulot loin d’être simple qui consiste à démêler tout ce puzzle. Ce qui signifie que cet exercice difficile de la justice n’a pas besoin que de célérité, comme le suggérait le Premier ministre Ousmane Sonko à l’hémicycle, mais plus encore, de sérénité et d’être adossé à une logique d’application des textes de lois.
Le procureur du parquet financier Abdoulaye Alioune Sylla, lors de la récente conférence de presse des parquetiers, a d’ailleurs fait remarquer que la lutte contre la délinquance économique et financière demande du temps et de la détermination. Car, a-t-il précisé, elle implique souvent plusieurs acteurs, localisés dans des zones géographiques différentes et qui font souvent appel à des experts. « En effet, lorsque dans une procédure sont présents des éléments extra-juridiques, les magistrats instructeurs sont obligés de délivrer des commissions rogatoires internationales dont ils ne contrôlent pas les délais d'exécution. Celle-ci est l'oeuvre de magistrats étrangers qui accomplissent ce travail accessoirement à leurs obligations professionnelles », a expliqué M. Sylla.
De plus, précision de taille, il s’agit aussi de comprendre qu’un juge applique des textes de lois et n’est donc en aucun soumis à la clameur populaire et au bon vouloir de l’opinion. C’est ce que le procureur de la république Ibrahima Ndoye soulignait, texte de loi a l’appui, lors de cette même conférence de presse, alors que beaucoup se réjouissaient dans les réseaux sociaux, des nombreuses convocations et des emprisonnements en masse à venir et qui leur paraissaient évidents. Il rappelait ainsi que l’article 140 du Code de procédure pénale offre « la possibilité d'obtenir une liberté provisoire en faisant des contestations sérieuses, en remboursant intégralement ou en cautionnant les sommes supposées spoliées», ajoutant que « le cautionnement est une garantie qui permet au juge de s’assurer de préserver les intérêts de l’État, mais pas de mettre les gens en prison ».
C’est ainsi que les procureurs ont ainsi accepté beaucoup de propositions de cautionnements. Le procureur du parquet financier a lui rapporté que "sur les sommes saisies et les cautionnements, le total que nous avions fait, il y a 2 ou 3 mois, était de 2 milliards 500 millions. Aujourd’hui, nous sommes à 15 milliards de fcfa ( 92 véhicules de marque saisis, 11 titres fonciers, plusieurs pirogues et moteurs, 2,5 milliards) après 7 mois de travail".
Pour sa part, le procureur de la République près le tribunal de grande instance hors classe de Dakar, Ibrahima Ndoye, a de son côté fait état de 27 personnes, déférées au parquet de Dakar, avec toutes les personnes qui ont spontanément proposé de cautionner. Ce qui a permis de rassembler un montant total de 256 448 233 millions Fcfa qui a été versé à la Caisse des dépôts et consignations.
Et pourtant, la justice et la presse font un travail appréciable...
Tout cela montre que le Président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko qui sont récemment montés au créneau, respectivement lors de son face à face avec six journalistes le 4 avril et à l’hémicycle, sur les sujets afférents à l’exercice de la justice, pour inciter les populations à exercer des pression sur la justice, voire pour critiquer la manière d’exercer la justice, n’ont pas du tout raison. Ne serait-ce que pour des raisons d’une part de séparation des pouvoirs ; mais encore de moyens humains et matériels suffisants que l’exécutif n’a pas donnés à la justice. Qu’ils n’oublient surtout pas que la justice tout comme la presse dans cette opération de reddition des comptes, sont les seules corporations à qui ils peuvent se fier dans ces dossiers judiciaires.
Ne sont-ce pas des juges qui vont aider à démêler tout le puzzle et permettre à l’Etat de récupérer quoiqu’à titre provisoire, des montants spoliés et de punir d’éventuels coupables ? N’est-ce pas la presse qui permet de rendre tout cela public, de relayer les conférences de presse des procureurs sur le bilan d’étape de la reddition des comptes et d’expliquer à l’opinion publique qui a envie de comprendre ? N’était-elle pas aux premières loges, cette presse, durant la pandémie, sensibilisant gratuitement les Sénégalais pendant que les fournisseurs de gel, masques, respirateurs artificiels, riz, etc se sucraient ? Nos autorités doivent arrêter de s’en prendre publiquement à ces juges ou journalistes, qui même si leurs corporations ne sont pas exemptes de reproches, font un travail très appréciable de tous les jours. L’on a juste besoin de combattre le fléau de la corruption dans la nation toute entière, ce qui du reste ne les épargnerait point. Car après tout, un sondage réalisé sous Macky Sall avait révélé les secteurs les plus touchés par la corruption, et ces deux corporations, n’étaient pas en tête dans ce sondage. Qu’est-ce qui a changé depuis lors ? La corruption est toujours aussi présente dans presque tous les secteurs
Dans tous les cas, que cela soit la procédure devant le Pool judiciaire financier qui implique des personnalités politiques ou homme d’affaires, telles que Farba Ngom et Tahirou Sarr, chaque jour qui passe, nous livre sa part d’évolution. L’on a par exemple appris que le frère du maire d’Agnam est arrêté par des éléments de la Division des investigations criminelles (DIC), suite à une délégation judiciaire ordonnée par le doyen des juges d’instruction financier. Lors de la perquisition à son domicile, les enquêteurs ont en effet trouvé un coffre-fort contenant la somme de 100 millions de francs Cfa. Celui-ci a ainsi déclaré que les fonds proviennent de ses activités commerciales. Mais, les policiers le soupçonnent de conserver l’argent pour le compte de son frère Farba Ngom. C’est pourquoi il a été appréhendé ainsi que le nommé Adou Aziz Kane, également propre du responsable « apériste ». Tous les deux sont en garde-à-vue.
Tout cela veut dire que les juges sont en train d’effectuer un travail minutieux sans toutefois suivre la clameur populaire et d’éventuelles pressions comme ces déclarations insensées de Waly Diouf Bodian qui aurait mieux fait de prendre la pleine mesure du challenge qu’est le Port de Dakar pour notre économie, plutôt que de pérorer sur les réseaux sociaux. «Le dossier Covid-19 risque de flopper du fait de la possibilité offerte à des milliardaires de cautionner pour recouvrer la liberté», avait-il déclaré.
Il y a certes les règles et la justice, mais encore l’économie
La question est aujourd'hui de savoir si on aurait dû laisser la gestion de la covid, à la seule discrétion de l'exécutif, malgré le défilé de la classe politique au palais présidentiel, symbolise de la cohésion et de l'unité lors de la pandémie ?
Dans tous les cas, la reddition des comptes qui a actuellement lieu, est plus que nécessaire, surtout dans une république. Il s'agit, après le marché de 5 milliards en produits phytosanitaires du Plan Jaxaay et le scandale de Caire 86, relative à la campagne sportive pour laquelle, il était question d'accompagner les lions de la téranga grâce à une collecte nationale avait été organisée. L'argent avait été dilapidé.
Il s'agit plus que jamais de ne plus reproduire ces scandales. Et pour cela, il est impérieux de mettre en place des procédures de contrôle plus rigoureuses et plus corsées.
Mais au-delà, nous ne devons perdre de vue des progrès à faire sur le plan économique où le moindre frémissement n’est pas ressenti. Les Sénégalais ne peuvent pas uniquement se suffire de règles, de justice et de lendemains meilleurs. Les jeunes ont besoin d’être mieux éduqués, mieux formés dans une logique d’employabilité au lieu de ne ressentir comme perspectives que de se rendre en Espagne ou au Qatar pour servir d’autres économies déjà prospères. L’argent doit pouvoir circuler et rester dans le pays.
Si l’on en est ainsi à se réjouir d’un emprunt obligataire qualifié de succès, alors qu’on a affaire à rien d’autre qu’à une dette de plus dans la masse de dettes qui commencent à être importantes, cela veut dire qu’on n’a rien compris de ce qui nous attend.
Ceux qui qualifient cet emprunt de succès, doivent ainsi revoir leurs copies, puisque non seulement ce n’est pas une première, puisqu’il y ‘en a eu en 2023 sous Macky Sall, mais en plus, les taux proposés sont suffisamment intéressants pour que des investisseurs institutionnels généralement plus importants dans ce genre d’opérations ou un particulier futé, se privent de faire partie d’une telle aventure lucrative. Il y a d’ailleurs eu beaucoup de monde pour se ruer sur le prêt à l’Etat, à un taux de 6, 40% pour une durée de 3 ans. Une échéance bien courte et profitable.
L’on ose juste espérer que ces projecteurs braqués sur les cafards de la gouvernance Sall et la reddition des comptes, ne soient des contrefeux allumés pour distraire les populations, le temps de trouver le moyen de booster ce retard à l’allumage que connaît l’économie. Car de ce côté-là, il n y a rien à visiblement se mettre sous la dent, si ce ne sont des règles et des vœux pieux.